Chronique] Bonne et heureuse armée
- Par Administrateur ANG
- Le 29/12/2008 à 16:33
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Souleymane Jules Diop Jeudi 25 « La liberté, c’est passer d’un état à l’autre,
c’est s’arracher à quelque chose.
C’est donc une rupture »
François MITTERRAND
Même avec la pire des soldatesques à la tête de leur pays, les Guinéens n’en voudront jamais à Dieu de les avoir débarrassés de Lansana Conté. Séckou Touré suscitait la crainte. Sa mort avait été saluée par une importante diaspora guinéenne comme un moment de « libération ». Dans sa furie paranoïaque, le « tyran » avait ethnicisé son pays, combattu son élite intellectuelle qu’il soupçonnait de connivence avec l’ennemi « impérialiste ». Nous n’allons pas non plus oublier les horreurs du camp Boiro, révélées par de nombreux témoignages encore vivaces. Sur une simple délation, vous pouviez entrer dans son bureau et ne plus jamais réapparaître que dans un cercueil plombé. C’était le sort réservé à de nombreux jeunes intellectuels qui commettaient l’imprudence de passer par Dakar ou Abidjan en rentrant à Conakry.
Mais Séckou inspirait, sinon du respect, du moins de la considération. Pour son non courageux à de Gaulle et son oui à la Guinée, pendant que la plupart des dirigeants africains se mettaient accroupis derrière la France. Il a refusé la liberté aux guinéens, mais paradoxalement, la plupart des opprimés de la terre ont trouvé chez lui une oreille attentive. Il a eu un hommage posthume appuyé de Miriam Makeba et Nelson Mandela. Moustapha Wade, le frère de l’actuel président de la République, y avait trouvé refuge quand Senghor ne voulait plus de lui. Autant il avait divisé les Guinéens, autant Seckou Touré avait allumé chez eux la flamme d’une identité nationale qui faisait leur fierté. Le Bembeya Jazz en était l’incarnation ultime. Derrière le grand tyran, il y avait aussi le petit homme du peuple qui conduisait sa propre voiture, qui savait se mettre du côté des opprimés. On l’accusait de sacrifier les albinos, mais il avait fait du chanteur malien Salif Keita son meilleur ami. Derrière le grand tyran, il y avait aussi le sentimental qui a versé des chaudes larmes quand il a écouté le premier refrain de « Manjou », chanté à sa gloire.
Conté n’était pas tout ça. C’était un vulgaire général qui s’est rappelé qu’il avait une arme de libération quand il s’est assuré que Séckou Touré était bien mort et enterré. C’était une copie caricaturale de son idole, qu’il n’a jamais cessé de singer, dans ses traits les plus caricaturaux. Mais ill avait les idées et les convictions en moins. Le général autoproclamé compensait cette mollesse intellectuelle avec un autoritarisme terrifiant. Il savait se rappeler du français qu’il avait appris au Prytanée militaire, mais c’était un grand bouffon. Il y a quelques mois, il s’est rendu en cortège dans une prison de Conakry pour faire libérer un ancien conducteur de Limousine qu’il avait transformé en milliardaire. Son pays était le premier exportateur de bauxite au monde, sans doute le premier exportateur clandestin de diamant, mais ses citoyens n’en voyaient pas l’éclat. Il faut dire que les Guinéens étaient déjà fatigués des frasques du septuagénaire. Il passait ses journées à regarder des films porno et n’en sortait qu’une fois sa bouche moussée de raisin fermenté. Quand ça lui prenait, il convoquait de jeunes nymphes parmi lesquelles miss Guinée, de 40 ans sa cadette qui deviendra son épouse préférée. Qu’il aille au diable. Il avait transformé la Guinée en un camp Boiro géant et tenu ses citoyens dignes d’une main de fer. Il rappelait il y a quelques jours encore, sans doute avec sa bouche puante de Camelia, que ses compatriotes feraient mieux de se méfier de lui, parce qu’il savait tuer. Si les Guinéens ne sont pas morts dans les camps, c’est qu’ils ont renoncé à leurs opinions ou renoncé à leur pays. Mais ils sont devenus plus pauvres qu’avant, pendant que leurs ressources naturelles sont pillées par une caste d’affairistes.
Les médias du monde entier ont fait peu cas de la mort du dictateur. Aucun chef d’état sérieux ne lui a rendu hommage. Peu de grandes personnalités se rendront à son enterrement. Mais n’oubliez pas que ses derniers caprices de chef d’Etat ont été payés par le contribuable sénégalais. Pendant que les Guinéens se plaignaient de leur condition misérable, Abdoulaye Wade finançait une fête pour leur président à hauteur de 500 millions de francs Cfa. C’était la condition pour en être « l’invité d’honneur ». Accompagnons son cercueil avec nos clameurs, pour que Dieu n’en ramène plus de ce genre.
Je comprends ceux qui, dans notre pays, célèbrent la mort de Lansana Conté. J’ai été très ferme avec un ami qui me disait hier que tout compte fait, un général pourrait être une bonne alternative pour le Sénégal. J’ai trouvé cette idée abominable. L’armée n’a jamais été qu’un ultime recours pour un pays. Mais je ne peux pas m’empêcher de souhaiter à tous les Guinéens qui fêtent Noël dans la joie, bonne et heureuse « armée ». Quand la France, berceau présumé des Droits de l’homme s’est trouvé dans l’impasse, elle a fait appel à un général. de Gaulle a démissionné quand la rue l’a désavoué. Un militarisme éclairé vaut mieux qu’une dictature aveuglée. Le Mali l’a expérimenté avec Amadou Toumani Touré, la Mauritanie avec Mohamed Ould Val. Jerry Rawligs, que rien ne préparait à la vie civile, a organisé des élections et accepté avec beaucoup de hauteur le verdict des urnes. Le Ghana vient de faire la preuve de la grande maturité de sa démocratie, en organisant des élections saluées par tout le monde.
Pendant qu’il appelait l’armée guinéenne au calme, ses propres soldats tiraient sur de jeunes enfants sans défense à Kédougou. N’importe quel chef d’Etat aurait écourté ses vacances et demandé la mise en place d’une commission d’enquête. Mais voilà tout le côté sombre d’Abdoulaye Wade. Il ne voulait pas marcher sur des cadavres pour aller au pouvoir, mais il en fait tous les jours depuis qu’il est pouvoir. C’est pourquoi il se fait l’avocat des dictateurs sanguinaires. Il cache Hussein Habré, un criminel qu’il ne veut pas livrer à la Justice internationale. Il était le grand défenseur d’Ahmed El Béchir. Il a trouvé maintenant un client en son « ami » Robert Mugabe. Sa défense est la même, « il y a des chefs d’Etat qui veulent quitter le pouvoir, mais ils ont peur d’être jugés ». La plupart du temps, il ne parle que des dictateurs criminels, puisque les anciens chefs d’Etat qui n’ont rien à se reprocher vaquent tranquillement à leurs occupations.
Je confesse donc ici-même, que je suis obligé de relativiser mon aversion pour la solution militaire. Je tempère le pessimisme radical de ceux qui voient en chaque soldat guinéen un nouveau Conté. De la même manière, je ne vois pas en chaque leader politique sénégalais un futur Abdoulaye Wade. Il a soufflé à l’oreille d’un de ses collaborateurs, après avoir fait sa sortie fantasque à sa résidence de Paris, « douma seen moroom ». Gouverner se résume pour lui à un exercice de manipulation. Ceux qui étaient là avec lui, j’en suis convaincu, y ont été par égard pour le vieillard, mais ils n’éprouvent aucun respect pour le président. Ce que j’ai retenu pour ma part, c’est que tous les intervenants qui avaient l’habitude de l’interpeller directement ne parlent de lui qu’à la troisième personne. Comme s’il n’était plus là. C’est le père Noël en lui qui est mort. Moi aussi je croyais en lui, mais j’ai perdu la foi. Je l’ai attendu comme vous, tous les ans, sous la cheminée. Je l’ai vu à la télévision comme vous. J’ai entendu comme vous toutes ses promesses : il a promis des tramways, des centrales nucléaires, des bateaux-taxis. C’était une publicité mensongère. Une année passe avec son lot de malheurs. Mais si vous avez détesté le père Noël, méfiez-vous du fils. Il est sa réplique parfaite.
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