Cellou Dalein Diallo, président de l'Union des forces démocratiques de Guinée : "Dadis, Macky et moi"
- Par Administrateur ANG
- Le 17/07/2015 à 09:46
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Le Président de l’UFDG, Mamadou Cellou Dalein Diallo, justifie dans cet entretien exclusif accordé à Conakry à l’éditorialiste de www.SenePlus.Com Momar Seyni Ndiaye, les raisons qui l’ont poussé à prendre langue avec l’ancien président putchiste exilé à Ouagadougou, Moussa Dadis Camara. En dépit des charges qui pèsent sur ce dernier. Entretien.
Quelle a été la signification de votre récente visite au Burkina Faso pour rencontrer l’ancien Président de transition de la Guinée, Moussa Dadis Camara ?
Chaque fois que je suis à Ouaga, je suis passé voir Monsieur Dadis Camara pour le saluer. Récemment, il a été investi comme le Président du parti dénommé le FPDD. Nous sommes en train de préparer les élections présidentielles. Et naturellement, nous sommes en train de nouer des alliances avec tous les partis qui sont sur l’échiquier politique. Et quand nous avons approché les responsables de son parti, ils nous ont préconisé de voir Dadis Camara parce que c’est lui, le Président.
Je suis arrivé à Ouaga, j’ai rencontré l’ex-Président Dadis Camara, nous avons échangé et j’ai vu que nous avons les mêmes objectifs : il souhaite l’alternance en 2015, il est contre la tribalisation du débat politique et l’inversion du calendrier électoral. On avait beaucoup de préoccupations et de valeurs communes. Et on a décidé donc d’engager nos partis, nouer une alliance politique par rapport aux prochaines échéances électorales.
On sait que vos rapports étaient très heurtés quand il était au pouvoir et atteignaient même des niveaux insoutenables. Qu’est-ce qui peut expliquer ce rapprochement aujourd’hui ; alors que tout apparemment aurait pu vous opposer ?
Écoutez, l’alliance, d’abord, n’est pas exclusivement entre les deux personnes. C’est d’abord les deux formations politiques. Il est président d’un parti et j’en suis un aussi. Je cherche des alliances. Vous n’êtes pas sans savoir que le parti que dirige Moussa Dadis Camara a un potentiel électoral important. En faisant le tour des partis politiques, naturellement, j’ai pris contact avec celui de Dadis. Il faut dire que c’est un parti qui est agréé et qui mène des activités.
On m’a dit qu’il faut voir le Président, ce que j’ai fait après avoir constaté qu’on a des convergences de vue par rapport à un certain nombre de problèmes auxquels est confrontée la Guinée. Nous avons décidé de nouer une alliance électorale puisqu’on est à la veille de l’élection présidentielle.
Donc, vous êtes prêts à faire table rase sur le contentieux qui vous a opposé, aussi violent qu’il a pu être ?
Attendez, vous savez M. Dadis Camara n’est pas inculpé. Naturellement les gens du RPG ont crié au scandale. Que Cellou Dalein a vendu son âme. Mais n’oubliez pas qu’en 2010, M. Alpha Condé s’est rendu à Ouaga pour demander le soutien de M. Daids Camara. A l’époque, ce dernier lui a apporté publiquement son soutien. A la veille des élections législatives, il a mené la même démarche ; et Dadis lui a apporté son soutien. Personne n’a crié au scandale. En plus, des gens inculpés dans cette affaire du 28 septembre 2009 sont dans le gouvernement de M. Condé. Ils ont été même décorés de l’Ordre national du mérite de la République de Guinée.
Cela étant, il ne faut pas qu’on crie au scandale. Je ne suis pas la justice. J’ai marqué et j’ai réitéré ma solidarité avec les victimes du 28-septembre dont la plupart était mes militants. Je souhaite que la justice soit faite ; mais je ne suis pas le juge. Je suis un homme politique ; et il y a un parti politique qui est là dirigé par quelqu’un qui continue de jouir pleinement de ses droits civiques et politiques. Naturellement, je ne m’interdis pas de négocier avec lui.
Ces incidents dont vous avez parlé tout a l’heure avait fait quand même 150 morts et même plus. Au nom de l’éthique et de la morale, pouvez-vous collaborer avec une personne dont les mains sont tachées de sang?
Jusqu'à présent M. Dadis Camara n’est pas inculpé par une juridiction quelconque. Sa désignation à la tête d’un parti politique n’a pas été contestée par les autorités compétentes. Moi, j’ai besoin de ce parti. Et jusqu’à preuve du contraire, je considère que Dadis Camara continue de jouir pleinement de tous ses droits. Maintenant je souhaite que dans l’affaire du 28-septembre que justice soit faite. C’est une affaire judiciaire et pas politique. Même si des individus essayent d’instrumentaliser cette affaire du 28-septembre pour intimider Dadis et obtenir son soutien.
Est-ce que vous ne devriez pas attendre que la justice donne son verdict et essayer d’y voir plus clair avant de vous engager ? N’êtes-vous pas allé trop vite en besogne en devançant ce qui aurait pu être une décision de justice ?
Nous sommes à trois mois de l’élection présidentielle. Je ne peux pas attendre et rater une opportunité qui se présente à moi. L’échéance électorale arrive et j’en profite pour nouer une alliance avec ce parti. Entre temps, j’ai toujours souhaité que la justice fasse son travail en toute objectivité et en toute indépendance. Malheureusement, la justice est actuellement instrumentalisée à des fins politiques. Je le déplore en souhaitant que les responsabilités soient situées et que ceux qui ont commandité ou commis ces crimes là le 28 septembre contre les citoyens guinéens répondent devant la loi.
La situation politique en Guinée est tout à fait délétère. Il y a un contentieux préélectoral extrêmement lourd. En tant que principal leader de l’opposition, comment analysez-vous cette situation. Est-ce qu’il n’y a pas raison de craindre pour la Guinée ?
Il y a justement des raisons d’avoir des craintes par rapport à la paix civile, à la stabilité dans la mesure où le pouvoir en place ne veut pas du tout organiser des élections transparentes. Vous savez qu’on a organisé des manifestations pacifiques récemment au cours desquelles on a tiré à bout portant sur six de nos militants. Ce qui porte à 63 le nombre de morts, tués par les forces de l’ordre depuis que Monsieur Alpha Condé est au pouvoir. Jamais, une enquête n’a été diligentée pour identifier les commanditaires et les auteurs de ces crimes là afin qu’ils répondent devant la loi. Donc, ils bénéficient d’une impunité totale. Cela est un recul vraiment des droits humains dans notre pays.
Nous avons manifesté pour nous opposer à l’inversion du calendrier électoral. Parce que le pouvoir a décidé de reporter les élections communales en 2016 ; alors que toutes les conditions étaient réunies pour l’organisation desdites élections. Le découpage a été refait. Chaque citoyen a été affecté à un bureau de vote, dans un district, ou dans un quartier, donc dans une commune. Le budget a été approuvé par l’Assemblée nationale et dépensé. C’est au moment où il fallait fixé la date que Monsieur Alpha Condé a décidé de ne pas faire ces élections.
Vous vous interrogez sans doute pourquoi tant d’importance à ces élections communales ? Lorsque le mandat des élus locaux est échu en décembre 2010, Monsieur Alpha Condé, au lieu d’organiser des élections communales, comme on l’a fait au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Niger, il a décidé de remplacer les élus par des militants de son parti en mettant en place des délégations spéciales pour une partie des communes. Pour les autres, une vaste campagne d’intimidation a été menée pour les amener à faire allégeance au RPG.
Par exemple, si vous prenez les 38 communes urbaines, les 25 ont été remplacées par des délégations spéciales composées exclusivement de militants du RPG. Les treize autres ont été intimidés pour faire allégeance au RPG. Et tous ces conseils communaux vont faire campagne pour le Président de la République. Mais cela ne s’est pas arrêté là. Nous avons 304 communes rurales. La même politique a été appliquée là. On a changé quelques uns et puis on a intimidé les autres.
Il y a aussi les districts et les quartiers. Cela fait dix-sept mille. Là aussi la même politique. Les préfets et les sous-préfets ont rivalisé de zèle pour révoquer tous les chefs de quartier et de district qui n’ont pas voulu adhérer au RPG. Aujourd’hui, l’ensemble des élus locaux, quarante mille environ vont se mobiliser pour faire campagne pour le RPG. Ils sont des partenaires avec la CENI et ses démembrements dans la préparation et l’organisation du scrutin.
Vous voyez, c’est un handicap. C’est une autorité et une influence volée qui va être utilisée contre l’opposition. Les collectivités administrées par nos militants sont désormais systématiquement dirigées par le RPG. Nous avons obtenu, lors du dialogue de 2013 sous la direction de Said Djinnit l’engagement du gouvernement et de la CENI d’organiser des élections au premier trimestre 2014, ils ont refusé de le faire. Ils ont promis une deuxième fois de le faire avant la fin de l’année 2014. Ils ont effectivement préparé ces élections. Tout était prêt. C’est au moment où la CENI était prête à fixer la date qu’Alpha Condé a dit «non» à l’organisation à la date prévue, des élections communales.
Parlant du regain de violence, Alpha Condé vous accuse d’en être l’instigateur. Il dit même avoir autorisé les quinze marches sur les dix-huit demandées. Il estime aussi que ce sont vos militants qui provoquent les forces de l’ordre, auteurs de ces incidents mortels. Que répondez-vous à cela ?
Est-ce que les forces de l’ordre, même provoquées par les manifestants, ont le droit d’ôter la vie des citoyens ? Pourquoi après ces soixante-trois crimes, aucun policier, aucun gendarme n’a été interpellé. Aucune sanction, même administrative, n’a été prononcée à l’encontre de ces policiers et gendarmes. Ils ont bénéficié d’une totale impunité. C’est pourquoi, on se demande s’ils n’ont pas exécuté des ordres.
Est-ce que des enquêtes sont menées ?
Aucune enquête n’a été menée. Je vous ai dit, même pas une sanction administrative. C’est parce qu’il n’y a pas de volonté. Et je l’ai dit à Alpha Condé lorsqu’on s’est rencontrés pour la première fois.
Lorsqu’un journaliste d’Al Jazeera a été molesté ici par les forces de l’ordre, son matériel confisqué, dans les 24 heures, les auteurs ont été identifiés et radiés. Il n’a même pas attendu les tribunaux parce que l’image du pays était touchée. Mais en ce qui concerne nos manifestants qui ont été tués à bout portant, parfois même au lendemain des manifestations dans les quartiers, jamais une enquête n’a été menée. Le gouvernement ne s’est même jamais ému. On a toujours le président de la République au chevet des gendarmes blessés par des cailloux. Mais on n’a jamais vu le gouvernement assister aux obsèques d’un militant de nos partis ou adresser des condoléances. Ils n’ont jamais pris aucune disposition pour identifier ou sanctionner les responsables de ces crimes. Alors, c’est facile de dire que ce sont les enfants qui provoquent. Mais, on sait que les victimes ne viennent que d’un côté.
On n’a jamais enregistré la mort d’un policier par balle, ni d’un militant du RPG parce que parfois ils viennent comme contre manifestants pour s’attaquer à nous. Les morts ne viennent que d’un coté et les membres du gouvernement et Alpha Condé lui-même disent souvent on ne sait pas d’où viennent les balles et que les manifestants étaient armés. S’ils étaient armés avec toute la rancœur que les jeunes ont contre les policiers qui ont tué leurs camarades, parfois leurs frères, ils auraient plutôt tirés sur les policiers et non sur ceux qui manifestent en même temps qu’eux et pour les mêmes causes.
Pour le tenue de ces élections, Alpha Condé invoque des problèmes d’ordre organisationnel. La présidentielle est prévue au mois d’octobre. Est-ce que le temps permet d’organiser les locales avant la présidentielle ? Ou bien est-ce que cela ne pourrait pas conduire au report éventuellement de l’élection présidentielle qui est quand même une élection majeure ?
Nous ne confondons pas l’élection présidentielle et les élections communales. Nous sommes d’accord que l’élection présidentielle est plus importante. Mais pour qu’elle soit transparente et équitable, il aurait fallu organiser cette élection communale depuis 2011. M. Alpha Condé aurait pu le faire comme ses collègues Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, Issoufou au Niger ou Macky Sall au Sénégal. Les mandats sont échus. Nous devons faire l’effort de respecter nos lois.
En 2005, il n’y a pas eu d’élections ici en Guinée…
Oui les élections communales, c’était pour cinq ans le mandat. C’est fini 2010, quatre jours avant l’investiture d’Alpha. Il a eu tout le temps pour organiser ces élections communales. Mais en Côte d’Ivoire, au Sénégal, partout on a organisé les élections législatives et communales. Nous pour obtenir les élections législatives, il a fallu trois ans de manifestations et 57 morts. Parce que dès que tu dis élection, Alpha a peur. Il n’a pas d’électeurs. Il sait qu’en 2010, il n’a pas été élu. Il a été déclaré vainqueur. Il n’a pas été élu, il le sait. On le sait aujourd’hui. Les langues se sont déliées. Il ne peut pas justifier de 18%, il est passé à 52%. Maintenant on a les éléments, les langues se sont déliées, hein. Lorsque cela passe, on sait comment ça s’est passé.
Pourtant à l’époque, il n’était pas dans le dispositif. On ne pouvait pas soupçonner que les dirigeants aient été avec lui?
Les autorités de la transition se sont mises de son côté. Pourquoi ils ont refusé que le deuxième tour ait lieu à bonne date, 14 jours après la proclamation des résultats du premier tour.
Parce qu’il y avait des dysfonctionnements dans ces élections en Haute Guinée. Il n’y avait pas assez de bureau de vote. Il y a eu beaucoup de bulletins nuls, huit cent milles avait-on annoncé…
Si on ne peut pas organiser le deuxième tour dans les mêmes conditions, il faut annuler le premier tour, remettre tout en place et organiser tout dans les délais. Mais…
Vous admettez qu’il y a eu des dysfonctionnements dans l’organisation ?
Cela ne concernait pas uniquement la Haute Guinée. Dans toutes les préfectures, il y a eu quelques dysfonctionnements. Mais on aurait dû alors annuler le premier tour. Si on estime que ces élections n’étaient pas régulières, parce qu’il n’y avait pas assez de bureaux de votes par là, on aurait pu les annuler et les reprendre.
Pourquoi vous avez accepté d’aller aux élections dans ces conditions ? Vous auriez pu quand même les refuser?
Mais j’ai essayé de refuser, j’ai fait des manifestations qui ont été parfois réprimées dans le sang. Mais comme les autorités de transition étaient de son côté, naturellement elles ont tout fait pour favoriser les résultats auxquels on est parvenu et qui ne reflétaient pas la vérité des urnes.
À propos du dialogue politique. Dans un premier temps M. Condé vous a tendu la main. Vous avez préféré dérouler votre calendrier en allant voir les blessés des manifestations. Vous êtes parti le voir bien après. Malgré tout il n’y a pas de dialogue politique en Guinée. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir une responsabilité dans cette situation ?
Il faut rappeler les choses telles qu’elles se sont passées. J’avais reçu une invitation de M. Condé pour le rencontrer un vendredi. Malheureusement, une marche pacifique avait été programmée le jeudi. Le jeudi, il a décidé de me séquestrer, toute ma famille et moi. Personne ne doit sortir de la maison, pas même pour aller au marché ou pour acheter de l’eau. Les gendarmes étaient là devant ma porte. La répression a atteint un niveau de cruauté extraordinaire. On a tué des gens, on a violé des femmes. La répression était tellement cruelle ce jour que je ne pouvais pas aller pour parler d’autres choses avec Condé. C’était suffisamment grave à mes yeux que j’ai demandé que cette rencontre soit reportée. Que je puisse nettoyer les larmes de mes militants, enterrer les morts. Ce ne serait pas décent d’aller discuter. En plus sous le choc et l’émotion, le dialogue avec ceux là qui nous ont infligé le mal, serait improductif.
Quand vous vous êtes rencontrés finalement, qu’est ce que vous vous êtes dits. Et pourquoi cela n’a pas abouti au moins à une pacification de l’espace politique ?
Je pense que depuis lors, il n’y a pas eu de manifestations. Après la rencontre, je lui ai exposé les positions de l’opposition républicaine par rapport à toutes les questions qui opposent la mouvance présidentielle à l’opposition. Il faut dire que toutes nos revendications sont fondées sur la loi et les accords politiques. Le calendrier électoral qui a été rendu public par la CENI, le 10 mars, violait non seulement l’accord politique de juillet 2013, mais également la Constitution de la République, le code électoral, le code des collectivités.
J’ai dit que la CENI ne peut pas invoquer son indépendance pour violer un accord politique. Si elle ne peut pas l’appliquer elle doit l’exposer à la classe politique qui dans les mêmes conditions va décider de modifier l’accord politique. Mais Alpha Condé a donné des instructions à la CENI de ne plus organiser les élections communales alors que toutes les conditions étaient réunies.
Lorsqu’on a eu l’information selon laquelle Alpha Condé ne voulait plus organiser les élections communales, l’opposition s’est réunie dans mes locaux. Et on a dit que selon des rumeurs concordantes le président de la République a décidé de ne plus organiser les communales, alors que même les cartes d’électeurs étaient commandées et arrivées, le papier devant servir à l’impression des bulletin de vote, tout était là commandé à la banque de France. Et Alpha Condé a soutenu qu’il n’est pas question d’organiser ces élections. On a dit que si la CENI exécute cette décision du président de la République, elle aurait montré qu’elle n’est plus indépendante. Et il y aurait une volonté réelle de ne plus organiser les élections communales. Et à ce moment on ne reconnait plus les élus locaux, qui sont en place parce que leur mandat est terminé et que les délégations spéciales n’étaient plus légales. Donc lorsqu’on a rencontré M. Alpha Condé, on a arrêté les manifestations. Jusqu’à présent on n’a pas repris. Je lui ai dit clairement que le calendrier de la CENI était illégal, les délégations spéciales étaient illégales. Les mandats des élus locaux étaient échus depuis décembre 2010.
Au sortir de la rencontre avec le chef de l’État, vous avez déclaré au fond que rien n’a été réglé. Cela ne veut-il pas dire qu’aujourd’hui, on est vraiment dans une impasse ?
Lors de notre entretien, le chef de l’État a dit qu’il est au-dessus de la mêlée et qu’il prend note de nos revendications. Il a ajouté aussi qu’il écoutera la mouvance et qu’il décidera. Je lui ai répondu que nous n’avons pas de conflit avec la mouvance, ni avec le RPG. Je lui ai fait savoir que nous avons un problème avec le gouvernement et la CENI qui refuse de respecter la loi et d’organiser à bonne date les élections.
Plus tard, Alpha Condé a écrit au Premier ministre pour lui demander de relancer le dialogue ; lequel a désigné une équipe de ministres qui s’est retrouvé avec une délégation de l’opposition pour entamer le dialogue.
Bien après, lorsqu’on a vu que cela n’évoluait pas, l’opposition a pris la décision de suspendre sa participation au dialogue. D’abord il fallait savoir qu’il n’y avait pas de facilitateur. Les membres du gouvernement ont mis le RPG d’un coté et l’opposition de l’autre pour dire qu’ils sont facilitateurs et arbitres.
Il s’avère que les élections locales ne se tiendront probablement pas, parc qu’on est à trois mois de la Présidentielle. Êtes-vous prêt à faire table rase des élections communales et aller directement à la présidentielle ?
Il y a une situation qui risque d’affecter la transparence des élections. Aujourd’hui, les trente-huit communes urbaines, les trois cents communes rurales et les dix-sept mille quartiers et districts sont dirigés par le RPG, le parti présidentiel. Ces élus locaux sont des partenaires de la CENI dans l’organisation du scrutin. Ils ont des rôles à jouer dans la composition des bureaux de vote, la composition des commissions administratives de recensement. Ils participent dans la distribution des cartes d’électeur. Donc ils peuvent jouer en faveur du parti présidentiel.
Ceci est d’autant plus vrai que le régime d’Alpha Condé applique une politique sélective dans l’octroi du service public. Il faut être militant du RPG pour avoir certains droits. Là où on n’a pas voté pour lui, les gens n’ont pas droit aux services sociaux de base. Il marchande l’ensemble des projets et programmes de développement contre l’adhésion au RPG.
Il faut dire que l’implication des quarante mille élus locaux dans la préparation et l’organisation du scrutin, peut causer des préjudices importants à l’opposition et donner des avantages indus au parti présidentiel.
Pourtant avec ce même fichier électoral, les élections législatives se sont relativement bien passées. Est-ce que cela n’est pas un gage de crédibilité pour les élections à venir ?
On me dit souvent que j’ai eu 37 députés lors des dernières législatives et que cela signifie que les élections ont été transparentes. Mais ceux-là ne connaissent pas le rapport de force dans ce pays. S’il n’y avait pas eu de fraudes massives, de bourrage des urnes en Haute-Guinée ainsi que le refus aux militants de mes fiefs d’avoir accès aux bureaux de vote, les résultats seraient autres. À Mandiane par exemple, il y a eu un taux de participation de 97% avec zéro bulletin nul et zéro votant pour l’opposition. On n’a jamais vu une fraude pareille.
Mais il faut dire que c’est une zone Malinké supposée «appartenir» à Alpha Condé…
Attendez ! On ne peut pas enregistré 97% comme de participation là bas. On connait l’historique des choses. En plus un taux pareil n’existe nulle part dans le monde. Sans compter que déjà lors de la révision de listes électorales, ils avaient recensé tous les enfants de 14 à 16 ans en leur attribuant 18 ans. Si vous voyez le corps électoral, il a explosé dans la région. Et cette année ils ont recommencé la même chose. Tout le monde est mobilisé, préfets, sous-préfets, élus locaux pour favoriser justement cette augmentation dans ce qu’on considère comme le fief de Condé.
Ce qui n’est pas de bon augure pour l’élection présidentielle.
Pas dut tout. Et dans le dialogue avec la mouvance, naturellement, on avait posé le problème du fichier. On ne peut pas aller aux élections avec ce fichier taillé sur mesure qui peut vraiment proclamer Alpha Condé vainqueur sans tenir compte des réalités.
Est-ce que vous irez aux élections ?
Je me bats actuellement pour aller aux élections. On a perdu cinq personnes à travers des manifestations pour pouvoir réunir les conditions d’un scrutin transparent et équitable. Nous allons nous battre pour que cela soit. Notre vocation, ce n’est pas de boycotter. C’est d’exiger que les élections soient transparentes et que les candidats soient sur le même pied.
De l’extérieur, on pense que le bilan des cinq ans d’Alpha Condé est positif. On parle de politique d’infrastructures, de mesures d’ordre social qu’il compte prendre pour relancer l’économie et remettre tout le monde sur le chemin du travail. Est-ce que vous avez la même appréciation ?
Posez cette question aux Guinéens. Ils vont diront que leurs conditions se sont dégradées fortement. La paupérisation a été d’un niveau insoutenable. La pauvreté s’est accrue, le chômage également.
Vous imaginez, avant Ebola, en 2013, la Guinée a fait un taux de croissance de 2,3% ; alors que la Sierra Léone trônait avec 14,8%, la Côte d’Ivoire 9%, le Liberia 7%, le Sénégal environ 5%. Avec tout le potentiel de la Guinée on avait 2,3%, avant Ebola. On a tendance à attribuer tous les échecs d’Alpha Condé à Ebola. Alors que c’est dû à sa politique, à la crise de confiance qu’il crée entre les investisseurs et la Guinée, en mettant en cause systématiquement tous les accords, toutes les conventions en modifiant plus de quatre fois le code minier. L’inexpérience et l’incompétence n’ont pas permis à Alpha Condé d’engranger des bénéfices pour le compte du pays. Aujourd’hui, les marchés de gré à gré, c’est 80% des dépenses publiques. Il n’y a pas d’appel d’offres, c’est une violation du code des marchés qui est une loi de la République.
Dans le secteur de l’énergie et des travaux publics, les marchés de gré à gré sont à flots avec des prix unitaires qui n’ont rien à voir avec la réalité économique. Aujourd’hui, le système bancaire de la Guinée est malade du fait que cet octroi de marché de gré à gré. Ces pratiques ont continué à fragiliser le système bancaire et Alpha Condé a d’énormes problèmes avec le FMI. Parce que la qualité de la gouvernance laisse à désirer. Il y a beaucoup de détournements, de corruption dans le pays. Lorsqu’on parle de progrès, je ne la vois pas en matière de droits humains. Au contraire la Guinée a reculé. A Ratoma par exemple on comptait 63 morts lors d’une manifestation. Jamais une sanction n’a été infligée à l’endroit des responsables.
Mais on voit que les infrastructures se développent. Il y a beaucoup de chantiers. On parle de barrages, de routes qui sont réalisées. C’est quand même de bon augure tout cela ?
Il y a beaucoup de marchés qui ont été attribuées pour avoir des commissions. Il y a beaucoup de projets dont les contrats ne sont pas financés par la loi de finances. Vous avez des routes dont la construction, l’aménagement et le bitumage ont été attribués à des entreprises sans appel d’offres avec des budgets jamais vus dans l’histoire des travaux publics. Des routes taxées à cinq cent mille dollars le kilomètre. Il faut dire qu’une bonne partie doit revenir pour financer la campagne d’Alpha Condé.
Le barrage de Kaleta, par exemple, devrait être réalisé dans le cadre de l’OMVG. La BAD était chef de file pour le financement du projet. On l’a retiré. Le cout estimé par l’ingénieur conseil à l’époque avait prévu 260 millions de dollars, mais ils l’ont réalisé aujourd’hui à 550 millions de dollars dans un marché de gré a gré.
Dans le secteur de l’énergie, le fils du président a «introduit» une entreprise ; laquelle a attribué un marché de gré a gré de 180 millions d’euros. Il n’avait ni la compétence technique ni la surface financière pour exécuter un tel projet. Jusqu’à présent, les centrales qu’il devait réaliser ne sont pas opérationnelles. Finalement, le gouvernement a retiré le contrat sans demander aucune indemnisation de l’entreprise. Parce qu’il avait déjà perçu presque la totalité du montant. Par la suite, le gouvernement a attribué ce marché à une autre entreprise appartenant à un ami d’Alpha Condé pour 50 millions de dollars. Donc, il y a beaucoup de choses qui montrent que la gouvernance ne s’est nullement améliorée. Au contraire, elle s’est détériorée. Il n’y a pas de croissance, ni de réduction de la pauvreté, moins une confiance de la part des investisseurs.
Le gouvernement a mis en place une agence de régulation des marchés publics. Ne pensez-vous pas que cette agence va mettre un peu plus d’éthique et de transparence dans la commande publique ?
Ce n’est pas la mise en place de nouvelles structures qui améliore la gouvernance. Elle s’améliore lorsqu’il y a une volonté politique. On n’a pas toujours besoin de mettre des structures. Les structures peuvent être efficaces s’il y a une volonté politique réelle de changer les choses. En ce moment, on doit associer à la sensibilisation, la mise en place de la structure de sanction contre les gens qui ne vont pas respecter les règles de procédure. Mais c’est loin d’être le cas. Il y a une complaisance, une complicité entre les agents à tous les niveaux et les gouvernants. On ordonne d’attribuer des marchés. Lorsque le président a donné ordre d’attribuer un marché de 300 millions de dollars, le contrat est signé. Qu’est-ce que l’agence de régulation des marchés peut faire ? Des fonctionnaires, peuvent-ils dénoncer une décision du président de la République ?
La création d’une structure ne se traduit pas toujours par l’amélioration de la gouvernance, de la qualité, de la moralité des actes des fonctionnaires. Il faut associer à la fois le contrôle mais également si nécessaire la sanction.
Si demain vous êtes président de la République, quelles seront les trois premières mesures que vous allez prendre ?
D’abord choisir de bons collaborateurs, ensuite essayer d’instaurer l’État de droit. Par l’exemple, je vais apporter le changement. Je suis capable de respecter les engagements que je prends, de respecter la loi, ainsi que mon serment à la Constitution. Mes collaborateurs, les ministres, les préfets et les gouverneurs verront que je respecte les règles du jeu. Je vais veiller à ce que chacun d’eux le fasse pour que l’administration soit au service des Guinéens. Il faut moderniser l’administration pour qu’elle puisse répondre aux besoins des Guinéens, lutter contre la corruption. Et tout ça, on doit montrer que c’est un objectif majeur en tant que président de la République. Lorsque Dieu te donne l’honneur d’être le président de la République dans un pays qui a tant souffert, tu ne peux pas obtenir le changement si tu ne montres pas que t’es au-dessus des petits intérêts mesquins. Tu dois vraiment te montrer au service de la collectivité nationale et renoncer à beaucoup de choses pour faire avancer le pays.
Vous avez été Premier ministre. Qu’est ce qui peut nous laisser croire qu’effectivement vous allez respecter vos engagements ?
Il y a une vaste campagne qui a été organisé contre moi et qui ne repose sur rien. Si Konté m’a maintenu pendant quelques dix ans dans le gouvernement, il m’a nommé Premier ministre, il était convaincu que j’étais un homme intègre et que je m’imposais une discipline. Il me faisait confiance et il considérait que j’étais le cadre le plus intègre parmi ses collaborateurs. Et moi je voulais être digne de cette confiance là. Et j’ai géré de façon rigoureuse tous les départements qu’il m’a confiés. Je me suis engagé de ne pas violer cette confiance. Depuis que je suis parti, on a fait des audits derrière moi. Tout a été fait pour me disqualifier en politique. C’est parce que dès que je me suis engagé en politique, je me suis retrouvé automatiquement à la tête du plus grand parti. Cela a suscité beaucoup de jalousie. Depuis que j’ai quitté la primature, on est en train de m’auditer. Jusqu’à présent, on n’a jamais rien trouvé.
Des accusations d’enrichissement illicite ont été brandies contre vous ?
On a dit que j’ai des fortunes au Sénégal. Je n’ai jamais eu un compte bancaire au Sénégal, ni un véhicule. Ils ont peur de moi et ils font tout pour me discréditer. Ils veulent me présenter comme un délinquant. Croyez-moi tout a été fait pour me discréditer. On a même voulu corrompre des gens qui ont été mes collaborateurs par des portefeuilles ministériels pour qu’ils donnent une piste qui pourrait conduire à la disqualification de Cellou. Tout ça, parce que lorsque je me suis engagé en politique il y eu des adhésions massives. Cela a déstabilisé tous les partis politiques. Les gens ont quitté leur parti pour me suivre dans mon parti. Les gens ne me croyaient pas. C’est lorsque j’ai eu 44% que les gens ont compris. Moi, je le savais et j’ai senti la confiance des Guinéens venir vers moi, toutes les ethnies, contrairement à ce qu’on pense et ce qu’on a dit.
Justement on dit que votre parti est un parti ethniciste, composé essentiellement de Peuls. Est-ce que cette accusation est fondée ? Est-ce que la Guinée n’est pas minée par l’ethnicisme ?
C’est vrai que le tribalisme existe en Guinée. Mais il y a un État qui favorise le tribalisme. J’ai le parti le plus transversal. Toutes les communautés sont représentées dans ma formation. Contrairement à ce que l’on pense, au niveau du conseil politique, l’organe supérieur, les Peuls ne sont pas majoritaires. Nous sommes implantés dans tout le pays. Mais pour mener la campagne contre moi, pour que la fraude ne soit pas trop flagrante, on a mené la campagne contre mon ethnie. J’ai le parti qui a des représentants dans toutes les communautés. Il y a mêmes des militants du RPG qui ont démissionné pour venir adhérer dans mon parti.
Je suis conscient de mon devoir de réconcilier les Guinéens et de promouvoir la fraternité en éliminant le tribalisme qui enfreint la Guinée. On ne doit pas juger un homme par rapport à son ethnie ni par son nom, mais par ses actes, son comportement, son mérite, qui n’a rien à voir avec son origine ethnique.
En définitive, on vous soupçonne d’être très proche de Macky Sall, certains parlent même d’affinités ethniques. Qu’en est-il ?
Ce sont des accusations qui n’ont pas de fondement. J’avais les meilleures relations avec le Président Wade. Ce n’était pas une accusation ethnique. Tout le monde savait que le président Wade me considérait comme son enfant. Je venais diner au palais. Tout le monde sait ce qu’il a fait pour m’extirper d’ici après les évènements du 28-septembre. J’ai beaucoup d’amis sénégalais. Et ce ne sont pas forcément des Peul ou hal Pulaar.
Comment analysez-vous les relations entre le Sénégal et la Guinée à la lumière de la crise de l’Ebola qui a un peu attisé ces relations-là ?
J’ai toujours souhaité que les relations entre le Sénégal et la Guinée soient bonnes. Surtout éviter d’avoir des comportements qui pourraient compliquer nos rapports compte tenu des préjugés qui existent. Mais je pense qu’il y a des efforts qui sont en train d’être faits de part et d’autres. C’est vrai que la fermeture de la frontière a été mal prise par la Guinée et par M. Alpha Condé. À l’époque je n’ai pas appelé M. Macky Sall, mais j’en ai parlé à des gens qui lui sont proches. Cela a énervé un peu quelques Guinéens. Mais je pense que cela est un vieux souvenir parce que les deux présidents ont amélioré leurs relations.
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