Burkina Faso, Guinée, Côte d’Ivoire : quels dangers sous-jacents aux processus électoraux de 2020 ?
- Par Administrateur ANG
- Le 15/09/2020 à 08:13
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Dans quelques mois se tiendra respectivement au Burkina Faso, en Guinée et en Côte d’Ivoire une élection présidentielle. Le constat est qu’une incertitude plane sur les processus électoraux en Afrique de l’Ouest du fait de la pandémie de Covid-19 venant se superposer à plusieurs autres déterminants structurels (organes de gestion des élections non consensuelles, mauvaise gestion des fichiers électoraux, etc.) ayant habituellement cours en Afrique.
En réalité, les effets de la Covid-19 sur les processus électoraux en Afrique pourraient s’avérer accessoires si l’on prend en compte les déterminants structurels susmentionnés. Il est vrai que si les principes de participation et de liberté sont opérationnels lors d’élections en cette période de pandémie, une contamination à grande échelle pourrait se produire. Le Covid-19 en tant que menace, pourrait également constituer un argument fallacieux convoqué notamment par certains acteurs du processus, à des fins de politiques politiciennes.
Entretien avec Mamadou Seck, expert électoral et consultant principal sur le projet Élections du think tank WATHI, partenaire de l’IRIS sur l’Observatoire des élections 2020 en Afrique de l’Ouest.
Quels sont les facteurs qui risquent de mettre à mal le processus électoral en Côte d’Ivoire ?
La Côte d’Ivoire s’achemine vers une élection présidentielle en octobre prochain. L’élection présidentielle, du fait de ses enjeux et de sa nature, comporte habituellement une charge émotionnelle très forte. Ces enjeux se décuplent en Afrique où l’accès au pouvoir donne accès aux ressources.
La Côte d’Ivoire est en train de dérouler un processus électoral complexe. Au-delà des problèmes hérités du processus électoral de 2010 avec ses soubresauts politico-judiciaires, la question du renouvellement de la classe politique, le jeu des alliances, les velléités de contrôle du processus électoral sont autant de facteurs susceptibles d’entraîner un processus potentiellement très « conflictogène ».
Le décès brutal du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, dauphin désigné par le président Ouattara, à quelques mois de la présidentielle vient rebattre les cartes et assurément, de nouvelles ambitions apparaîtront, renseignant sur l’incapacité de l’échiquier politique ivoirien à se renouveler et à respirer.
En effet, l’ancien président Henry Konan Bédié, qui avait fait figure « d’héritier » face au « dauphin » que fut Alassane Ouattara sous la présidence de feu Felix Houphouët Boigny, vient de déclarer sa candidature à l’âge de 86 ans. Pendant ce temps, la libération de l’ancien président Laurent Gbagbo et certains de ses partisans (Charles Blé Goudé et Simone Gbagbo), qui jouissent toujours d’une certaine popularité, vient susciter certains appétits et élargir le spectre des tensions politiques incessantes depuis la disparition du président Houphouët et dont le point culminant a été la crise post-électorale de 2010.
Hormis la séquence de 2015, aucune élection présidentielle depuis la disparition de Houphouët Boigny (1994) n’a été exempte de contestations et/ou de conflits ouverts. Rappelons que le pays compte vingt-six millions d’habitants, dont environ 72% de jeunes pour la plupart désœuvrés, mais « politiquement concernés ». Une « bombe » qu’il faut manier avec dextérité, qui a eu (avec les femmes) dans le passé à payer le plus lourd tribut des violences post-électorales. À cela s’ajoute un défaut de cohésion sociale, ainsi qu’une Commission électorale, principal organe de gestion des élections, très décriée dans sa composition. En effet, il est observé une certaine forme de déséquilibre dans le choix des membres, notamment la désignation de son président par l’exécutif. De même, la nature « politique » de la Commission du fait d’un choix se faisant sur la base des forces politiques parasite la qualité des débats en interne.
Au Burkina Faso, le risque sécuritaire constitue une menace pour la tenue de l’élection présidentielle. Quelle incidence peut-il avoir sur le processus électoral à venir ?
Le Burkina Faso subit une menace sécuritaire qui vient hypothéquer une gestion du processus électoral répondant aux normes et standards internationaux. Les zones sous la menace des forces terroristes ne sont pas concernées par la phase actuelle de l’enrôlement des électeurs. Quelle solution envisager (avec célérité) si l’on sait que le processus suit son cours et qu’aucune alternative n’est envisagée pour permettre aux citoyens de ces zones de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales ?
Ainsi, au-delà du Covid-19, les défis sécuritaires auxquels fait face le pays constituent essentiellement les menaces les plus sérieuses quant à la mise en œuvre du processus électoral sur l’ensemble du territoire. En effet, la gestion efficace du processus par la Commission électorale, le sursaut citoyen ayant permis la tenue des élections et le niveau élevé de responsabilité des compétiteurs politiques avaient permis au Burkina Faso de s’inscrire dans une dynamique consolidatrice de son processus politique en 2015. Rappelons la contribution importante d’un mouvement citoyen de jeunes, le « Balai citoyen » qui, en jonction avec les partis de l’opposition, a su porter le combat jusqu’au départ de Blaise Compaoré ouvrant alors une période de transition.
Malheureusement, au lendemain de cette transition réussie, le Burkina Faso a subi plusieurs attaques terroristes mettant à rude épreuve la consolidation de la paix et l’approfondissement du processus politique. Aujourd’hui, il est toujours confronté à ces défis sécuritaires, déterminant essentiel à considérer dans l’analyse relative à la mise en œuvre du processus politique, qui va au-delà du processus électoral au Burkina Faso.
En République de Guinée, quelle analyse faites-vous du processus électoral et du débat controversé sur la constitution ?
La République de Guinée traîne, dans le cadre du processus électoral, plusieurs facteurs potentiellement dangereux susceptibles d’entraîner une instabilité durable. En effet, en plus de la réforme constitutionnelle très controversée et dont on n’a pas fini de vivre tous les soubresauts, un débat ethnique nauséabond, planant depuis plusieurs décennies, risque d’être un élément important dans la crise qui se précise au fil de la mise en œuvre du processus électoral. Pour rappel, la réforme constitutionnelle fut présidée par un processus chaotique ponctué de reports, discordes autour du fichier électoral, désaccords profonds dans le choix des membres de la Commission électorale, etc.
La « falsification » de la Constitution nouvellement votée par référendum traduit un malaise profond et entretient une rupture de confiance entre les parties prenantes au processus politique en général. En outre, la naissance du Front national de défense de la Constitution (FNDC), mouvement opposé au président Alpha Condé, réunissant différentes forces politiques, syndicales, citoyennes, etc., risque de renforcer la tension. Précisons que le débat autour du troisième mandat du président Condé, alimenté par les nouvelles dispositions constitutionnelles (floues et ouvrant à toute sorte d’analyse) renforce les craintes de tensions électorales.
À cela s’ajoutent toutes les convoitises de la part de multinationales et « forces » extérieures autour des ressources naturelles dont regorge le pays (or, diamant, bauxite, fer, ressources forestières et halieutiques, etc.), qui sont non négligeables dans l’analyse du potentiel conflit qui pointe à l’horizon.
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