Analyse du projet de constitution présenté par le CNT : « Inévitable futur blocage des institutions »
- Par Administrateur ANG
- Le 02/05/2010 à 19:39
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Nous venons de prendre connaissance du projet de constitution présenté par le conseil national de transition (CNT). J'avoue que je m'attendais à mieux que cela car, il s'agit d'un changement dans la continuité autrement dit, un toilettage de façade.
Mon analyse ne couvrira pas l'ensemble de la constitution. Son fondement étant instable, la bonne ou mauvaise qualité de la suite des normes constitutionnelles n'y changera pas grand-chose. De ce fait, je me limiterai au choix de régime, au déséquilibre des institutions et au déficit de légitimité du CNT (nouvelle version) qui souhaite adopter la constitution à la place du peuple souverain.
1) Choix de régime
Même si le mot n'a pas été prononcé, les symptômes matérialisés par les articles 52 et 53 sont suffisants pour nous faire comprendre qu'il s'agit bien d'un régime présidentiel qu'on peut qualifier de présidentialisme accentué ou dénaturé du fait de déséquilibre des institutions qui nous est proposé par le CNT. Les articles en question disposent que :
« Article 52 : Le Premier Ministre, Chef du Gouvernement est nommé par le Président de la République qui peut le révoquer. Il est chargé de diriger, de contrôler, de coordonner et d'impulser l'action du Gouvernement.
Article 53 : Le Premier Ministre propose au Président de la République la structure et la composition du Gouvernement.
Le Président de la République nomme les Ministres et met fin à leur fonction, après consultation du Premier Ministre.
Le Premier Ministre est responsable devant le Président de la République ».
Ces deux articles nous indiquent que le premier ministre ne détermine pas la politique du gouvernement. Il est simplement chargé de diriger, de contrôler, de coordonner et d'impulser l'action du Gouvernement d'une part, et d'autre part, le premier ministre n'est responsable que devant le Président, jamais devant le Parlement. Avec de telles dispositions, il est évident que nous sommes face à un régime présidentiel et l'institutionnalisation du poste de premier ministre n'y change rien.
Ce choix est tout simplement incompréhensible. Pour changer ou réformer une constitution, le premier travail doit consister à faire le bilan de la constitution dont il est question de réformer ou de changer, afin de voir ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné. Ce bilan permettra aux constituants de ne pas reproduire les mêmes erreurs en évitant d'inclure les dispositions défaillantes que renfermait l'ancienne constitution. Malheureusement, c'est le contraire que le CNT vient de faire.
Nous savons que notre pays n'a connu que des régimes présidentiels avec des présidents trop forts, détenant en réalité tous les pouvoirs. Cette réalité a été la cause principale de tous les problèmes politiques, institutionnels, économiques et sociaux de notre pays.
Le régime présidentiel dont il est question de remplacer en Guinée, est celui qui consacre la prééminence du président de la République. Il faut juste rappeler que c'est un régime qui n'a démocratiquement prospéré qu'aux Etats-Unis. Cela est dû entre autres au fait que la séparation des pouvoirs exécutif et législatif y est très accentuée d'une part, et d'autre part, la discipline partisane pouvant servir d'appui à une tendance dictatoriale du chef de l'exécutif est inconnue des parlementaires américains. Dans l'histoire politique des Etats-Unis, les Présidents ont souvent été mis en difficulté par les parlementaires de leur propre camp politique pour des raisons que nous ne pouvons détailler ici.
Des études sérieuses ont démontré que les conséquences de la pratique du régime présidentiel en Afrique ont été catastrophiques pour la démocratie et pour le peuple africain. Les présidents avaient, dans la quasi-totalité des cas, fini par marginaliser et inféoder les autres institutions constitutionnelles, par la suite, instaurer la dictature.
Il nous faut un régime imposant l'équilibre de pouvoirs des institutions.
2) Déséquilibre des institutions et risque de conflits
a)- déséquilibre entre l'exécutif et le législatif
Le déséquilibre de pouvoir des institutions est symbolisé entre autres par le fait que le président de la République peut dissoudre l'assemblée nationale sur le fondement de l'article 92 de la constitution, alors que le parlement n'a aucun moyen direct de renverser le gouvernement. C'est un fait qui tranche avec le régime présidentiel normal qui ne permet à aucune des deux institutions de renverser l'autre.
b) déséquilibre total entre le président de la République et le premier ministre
Conformément à l'article 52, le premier ministre est nommé par le président qui peut le révoquer. Le premier ministre est chargé de diriger, de contrôler, de coordonner et d'impulser l'action du Gouvernement. Le premier ministre ne peut pas déterminer la politique du gouvernement même si par extraordinaire il était choisi dans l'opposition.
Ce qui est important à retenir dans ce cas d'espèce, c'est que malgré le titre de premier ministre chef du gouvernement qu'il porte, il n'est qu'un simple commis dépourvu de tout pouvoir direct et réel. Même s'il portait le titre de secrétaire d'Etat ou vice président n'aurait rien changé car ce n'est pas le titre qui est déterminant mais le pouvoir propre attribué à l'institution.
Si cette constitution est adoptée dans l'état, nous ne tarderons pas à assister à la naissance d'un autre dictateur qui va tenter de nous soumettre au cours des prochaines décennies car le CNT lui a prévu tous les outils nécessaires à cet effet.
3) Risque de conflits et de blocages des institutions
Le risque de conflits et de blocages des institutions est réel et imminent. Le blocage des institutions peut se produire dès après les prochaines élections législatives. Si un parti d'opposition ou une coalition de partis d'oppositions obtient la majorité à l'assemblée nationale, on peut s'attendre à au moins deux cas de figure.
Premier cas de figure, le président qui n'est pas obligé de choisir le premier ministre dans la majorité parlementaire, fait son choix de premier ministre en dehors de cette dernière. Dans ce cas, l'opposition peut à juste titre bloquer tous les projets de lois qui seraient présentés par le président qui dispose aussi de l'initiative des lois au même titre que le parlement conformément à l'article 84 de la constitution du CNT. Il est évident que la seule manière d'éviter un affrontement entre l'exécutif et le législatif dans une telle situation résiderait dans la collaboration des pouvoirs à l'américaine qui n'a jamais été expérimentée en Guinée car, elle exige une maturité démocratique et un environnement politique adapté qui nous font cruellement défaut. L'affrontement serait alors inévitable !
Deuxième cas de figure possible, le président nomme un premier ministre issu de la majorité parlementaire. Dans ce cas, quelle politique sera appliquée ? Celle du président conformément à l'article 52 de la constitution ou celle du premier ministre auquel la majorité parlementaire serait acquise ? Avant de répondre à cette question, il ne faut pas faire abstraction du fait que le président et le premier ministre seront susceptibles de s'affronter lors des élections prochaines. Quel bilan ou programme l'un et l'autre pourraient défendre? La réussite ou l'échec sera mis à l'actif de qui ? Sans oublier que le président peut le révoquer de manière discrétionnaire conformément à l'article 52 de la constitution.
Comment un premier ministre issu de la majorité parlementaire de l'opposition dont le programme serait approuvé par le peuple au détriment de celui du président, pourrait-il renoncer à l'application de son programme en faveur de celui du président désapprouvé par le peuple?
Il aurait fallu choisir un régime qui peut faire en sorte que le premier ministre vienne de la majorité parlementaire et qu'il soit doté de pouvoir de déterminer et de conduire la politique du gouvernement. C'est un moyen d'équilibrer les pouvoirs des différentes institutions.
4) Déficit de légitimité nécessaire du CNT pour adopter la constitution
La constitution qui est la norme suprême d'un pays, ne peut être adoptée par un organe qui n'a ni la légalité ni la légitimité nécessaire à cet effet. Une constitution doit être forcement adoptée par le peuple de manière directe par la voie référendaire ou de manière indirecte par la voie législative (les représentants élus du peuple).
Sur quel fondement le CNT dernière version gonflé de plus de 50% du nombre des membres initialement prévu, de manière unilatérale et clientéliste en violation des accords de Ouagadougou peut-il se substituer au peuple qui ne se reconnaît plus en lui ?
Faute de mieux, on aurait pu se contenter du CNT première version, conforme aux accords de Ouagadougou, qui était composé de manière consensuelle par tous les composants des forces vives dans lesquels la majorité des Guinéens se reconnaissait. Après ce sabotage du CNT qui a consisté à des recrutements clientélistes, dénoncé par la majorité des membres du forum des forces vives, nous ne devons plus accepter que la constitution soit adoptée par des gens dont on ignore tout jusqu'au mode de recrutement.
De ce fait, il faut trouver un autre moyen d'adoption de la constitution pour éviter que notre pays soit doté d'une constitution contestée dès sa naissance.
En conclusion, le peuple doit se rendre compte qu'il est loin d'en finir avec la dictature. Par cette proposition de constitution, le CNT vient de déployer un tapis rouge pour accueillir le nouveau dictateur qui sera élu le 27 juin 2010. Les combattants pour la liberté peuvent garder leurs chaussures solidement attachées car le combat est loin de sa fin du fait que le nouveau dictateur qui est sur le point d'être fabriqué par le CNT aura la caution populaire, fait qui nous donnera droit à une dictature à visage démocratique très difficile à combattre.
Vive l'unité nationale, vive la Guinée démocratique
Ibrahima Sory Makanera, juriste
Directeur de publication du site leguepard.net
Contact :makanera2is@yahoo.fr
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