Amadou Bah Oury : "l'objectif principal pour l'année 2024, c'est l'organisation du référendum constitutionnel à la fin de l'année"
- Par Administrateur ANG
- Le 22/07/2024 à 08:21
- 0 commentaire
En Guinée, le Premier ministre, Amadou Bah Oury, boucle quatre mois à la tête de l'exécutif.
Dans une interview exclusive accordée à Boubacar Diallo, notre correspondant à Conakry, il évoque le retour à l'ordre constitutionnel, la sortie des pays de l'AES (l’Alliance des États du Sahel) de la CEDEAO et ses relations avec le général Mamadi Doumbouya.
Le Premier ministre guinéen parle également de la crise énergétique qui secoue actuellement son pays.
BBC : Monsieur le Premier ministre, en mars dernier, vous avez annoncé que le gouvernement cherchait une solution face aux coupures intempestives du courant. Et trois mois après, la situation semble se dégrader. Beaucoup de ménages aujourd'hui n'ont accès à l'électricité que cinq heures par jour. Doit-on conclure que le gouvernement manque de solution face à la crise énergétique?
Amadou Bah Oury (ABO) : Permettez-moi d'abord de dire que le gouvernement, dont j'ai l'honneur d'en être le chef du gouvernement, a hérité d'une situation particulièrement difficile. Premièrement, vous savez que nous avons enregistré l'explosion du dépôt de carburant au mois de mai au mois de décembre dernier. Ensuite, la situation des finances publiques n'était pas du tout satisfaisante, ce qui a impacté les capacités du gouvernement dans la mise en œuvre de certaines de ses obligations. Ensuite, de cela, il y a eu une situation qui a mené à la dissolution du précédent gouvernement. Nous avons été appelés à prendre la tête pour passer en revue et pour trouver des solutions pour des situations d'urgence par rapport à l'impact de la catastrophe de décembre dernier, notamment par rapport aux personnes sinistrées, situation d'urgence par rapport à la situation de l'électricité, situation d'urgence par rapport aux finances publiques. En d'autres termes, nous avons été obligés, disons, de privilégier des solutions rapides pour subvenir aux besoins fondamentaux de la population. C'est dans ce cadre que la question de l'électricité, puisque c'est la question centrale, a été la question qui a mobilisé l'action du gouvernement dans sa globalité au mois de mars dernier.
Vous savez, c'était pendant la période du Carême et, chose inédite, les populations ont enduré pendant tout le mois des journées pratiquement sans électricité. Nous avons trouvé la solution qui était la mieux appropriée à ce moment-là, en développant l'interconnexion de la ligne Omv G qui a permis d'acheter de l'électricité du cote du Sénégal de l'ordre de cent vingt mégawatts à cent soixante mégawatts, en fonction des possibilités de livraison que le Sénégal pouvait assurer. De ce point de vue, ça a permis au mois de mi-novembre, de trouver une solution palliative qui n'était pas idéale, mais qui a permis de soulager les populations par rapport à la desserte d'électricité. Juste après les prévisions que nous avions eu de la possibilité d'avoir de l'électricité par les barrages de Kaléta et Souapiti, ces prévisions se sont dégradées alors que nous n'avions pas été informés suffisamment à temps de quelque chose.
Nous avons perdu très rapidement plus de cent mégawatts de capacité de desserte.
L'objectif du gouvernement est de faire en sorte que d'ici l'année prochaine, la Guinée sorte définitivement de la situation de pénurie d'électricité.
Produire de l'électricité n'est pas suffisant parce qu'il faut assurer une distribution efficace. Et cela aussi sera un des aspects qui pourront être pris en compte dans la réhabilitation aussi bien des installations que du réseau.
Et troisièmement, nous allons également changer la gouvernance qui a présidé à la gestion de l'électricité depuis des lustres dans notre pays.
Nous sommes conscients que la population a enduré des difficultés majeures.
BBC : Vous aviez évoqué une centrale thermique flottante comme piste de solution dans un premier temps. Que devient ce projet ?
ABO : Au mois de mars dernier, c'était une des propositions parmi d'autres.
Mais au moment où j'avais tenu ce point de presse, il fallait ne pas écarter aucune solution possible ou probable. Les conditions d'alors ne nous permettaient pas de nous engager dans une centrale flottante qui allait annihiler toute possibilité pour que les autorités guinéennes prennent conscience de l'ampleur du sinistre dans le secteur de l'électricité. Aujourd'hui, tout le monde en est conscient et nous sommes en train, avec un autre regard de réexaminer l'ensemble des solutions pour répondre pour le très court terme aux problématiques du déficit de desserte en électricité.
Et aucune solution n'est écartée dans le court terme dans des conditions qui permettront de privilégier les intérêts de la Guinée, les intérêts de la population.
Ces solutions seront proposées au président de la République.
"L'objectif du gouvernement est de faire en sorte que d'ici l'année prochaine, la Guinée sorte définitivement de la situation de pénurie d'électricité."
BBC : Monsieur le Premier ministre, six médias sont toujours suspendus malgré des échanges que vous avez eu avec les responsables de presse et votre promesse que la situation allait revenir à la normale. Pourquoi rien n'a changé jusqu'à présent ?
ABO : Beaucoup de choses ont changé. J'ai été nommé à la fin du mois de février 2024. Le 06 mars, j'ai invité les hommes et les femmes, qui gèrent les médias, à une première rencontre pour m'enquérir de la situation qui prévaut dans ce secteur, pour chercher une solution pour une normalisation des relations entre certains médias et la puissance publique.
Le 02 mai, après avoir eu l'accord du président de la République sur la normalisation, j'ai réinvité les mêmes acteurs pour leur dire, la situation va se normaliser. Vous vous êtes engagé à produire une charte d'autorégulation de votre secteur d'autorégulation.
Cela veut dire que ce sont les médias qui deviennent les acteurs de leur propre autorégulation. Je souhaite avoir cela dans les meilleurs délais pour acter, en relation avec les instructions du président, la normalisation des relations entre les médias et la puissance publique.
Certains médias, je ne dis pas tous se sont engagés dans une attitude qui n'était pas conforme à ce qui devrait constituer la charte d'autorégulation et qui ne correspondait pas également au contenu de leur cahier des charges. Et donc une décision est intervenue. Qui a remis cette volonté de normalisation en cause.
BBC : Vous voulez dire que entre temps, certains médias s'étaient mis à critiquer encore les actions du pouvoir?
ABO : Non, ce n'est pas la critique qui est condamnable. Nous voulons une presse libre, une presse objective, une presse qui permette un réel débat. Mais nous ne pouvons pas tolérer des médias qui peuvent contribuer à accentuer un climat de haine et de forme de déstabilisation du pays. Nous sommes dans un contexte de transition. Nous sommes également dans un contexte régional fragilisé. En interne, nous avons à faire face à beaucoup de situations où nous devons veiller à la stabilité du pays.
Des médias ont contribué au génocide au Rwanda, cela fait trente ans maintenant. La guerre civile en Côte d'Ivoire a été alimentée fortement par des médias ultra partisans. Nous ne pouvons pas nous permettre, en République de Guinée, de fermer les yeux sur tout aspect susceptible de contribuer à la déstabilisation de notre pays. Donc ceci dit, la Guinée, les autorités guinéennes veulent d'une presse innovante, d'une presse qui assume les principes déontologiques du métier de journaliste. Et ça, c'est une orientation qui ne fait aucun doute. Nous sommes en train d'investir au niveau de la TNT pour accroître les capacités de l'audiovisuel et pour permettre la connectivité d'un plus grand nombre de nos compatriotes.
Aujourd'hui, des radios sont en train d'investir pour être audible sur l'ensemble du territoire national. Donc on ne peut pas dire que le gouvernement guinéen, pour telle mesure ou telle mesure, est en train de s'attaquer au niveau de la liberté de la presse. Les gens confondent beaucoup de choses. La démocratie est le type de régime le plus fragile et la démocratie, pour qu'elle puisse prospérer, mérite d'être protégé, surtout dans l'environnement du monde dans lequel nous sommes aujourd'hui.
Nous étions dans une dynamique d'apaisement. Certains ont préféré une dynamique d'affrontement. Et le 21 mai, la décision est tombée le 22 mai, c'est ce jour-là, après la décision administrative de suspendre trois médias sur près de quatorze qui ont la télévision et sur près de quatre-vingt radios qui existent dans le pays ; c'est le lendemain que la charte m'a été envoyée, donc c'était un peu trop tard.
BBC : Et aujourd'hui, est ce que des démarches sont en cours? Est-ce que des négociations sont en cours?
ABO : Le climat de confiance a été rompu. Il faut laisser le temps au temps pour amener à une reconsidération complète de ce dossier. Parce que personnellement, très tôt, je me suis engagé pour une normalisation. J'ai été fortement déçu de constater que l'action que j'ai menée n'a pas été accompagné de manière intelligente par ceux et celles qui pouvaient bénéficier de cette normalisation.
BBC : C’est l'image de la Guinée qui prend un coup en terme de liberté d'expression. Et c'est aussi près de mille professionnels qui se retrouvent sans travail. Monsieur le Premier ministre, pendant combien de temps cette situation va-t-elle perdurer?
ABO : Je ne peux pas me prononcer à ce niveau-là. C'est à ce niveau-là que la responsabilité de chacun d'entre nous est interpellée. Lorsque vous êtes à la tête d'une entreprise, ce n'est pas parce que c'est vous, vous qui en êtes le principal actionnaire ou le créateur ou le fondateur que vous devez oublier votre responsabilité sociale vis à vis de ceux et de celles qui travaillent pour le compte de votre entreprise.
Et d'où la nécessité que les managers, les chefs d'entreprise, doivent prendre en considération la pérennité de leur propre entreprise, pas simplement pour leur propre personne, mais pour ceux et celles qui travaillent à l'intérieur de cette entreprise. Pour savoir comment gérer, comment agir et quelle responsabilité mettre en avant pour ne pas avoir des attitudes inconsidérées qui remettraient le projet managérial ou le projet entrepreneurial en cause.
"Nous voulons une presse libre, objective qui permette un réel débat. Nous ne pouvons pas tolérer des médias qui contribuent à accentuer un climat de haine et de forme de déstabilisation du pays"
BBC : Monsieur le Premier ministre, à quand le retour à l'ordre constitutionnel en Guinée?
ABO : D'ores et déjà, on l'a dit et redit, l'objectif principal pour l'année 2024, c'est l'organisation du référendum constitutionnel à la fin de l'année. Lorsque ceci sera fait, cela veut dire que nous avons un fichier électoral qui permettra de servir pour l'organisation des autres élections, qu'elles soient communales, législatives ou présidentielles. En d'autres termes, nous travaillons d'arrache-pied pour que les directives présidentielles soient respectées pour la fin de l'année à travers l'organisation du référendum constitutionnel. Lorsque ceci sera fait, le reste du programme, c'est à dire l'organisation des élections, se fera de manière concertée avec tous les acteurs, selon des délais qui répondront aux obligations réglementaires des codes et de la Constitution. Donc il n'y a pas fondamentalement de notre point de vue, une volonté quelconque de ne pas travailler pour le retour à l'ordre constitutionnel dans les meilleurs délais.
BBC : Mais vous vous étiez prononcé en faveur d'un glissement que certains avaient très mal compris. Est-ce que vous vouliez dire que la situation n'est pas aussi sereine pour que la Guinée aille aux urnes à la fin de 2024 ?
ABO : Comment aller aux élections si on n'a pas un fichier électoral? Certains disent, « utilisons le fichier que nous a légué le précédent régime ». Le fichier que nous a laissé en héritage le précédent régime était déjà fortement contesté. Contesté par la population dans sa très grande majorité, contestée par des organisations internationales comme l'OIF. Vous voulez qu'on utilise, ce qui a mis notre pays dans une situation explosive comme instrument pour organiser des élections, pour un retour à l'ordre constitutionnel ? Ce serait manquer de responsabilité et de manquer de vision et de sacrifier par ce biais là l'avenir de la Guinée. Nous voulons un fichier crédible et un fichier incontestable qui permettra à la population de choisir par elle-même et pour elle-même les dirigeants de la Guinée.
"Nous travaillons d'arrache-pied pour que les directives présidentielles soient respectées pour la fin de l'année à travers l'organisation du référendum constitutionnel"
BBC : La Guinée est membre de la CEDEAO et trois autres pays dirigés par des militaires ont annoncé leur retrait du bloc régional. Comment cette situation est perçue du côté guinéen?
ABO : La Guinée a de bonnes relations avec la CEDEAO. Le président de la Commission était à Conakry et nous l'avons reçu et nous avons tiré au clair pour ramener au beau fixe les relations entre notre pays et la CEDEAO. Nous avons également exprimé le fait que l'appartenance de certains pays à l'AES n'est pas contradictoire avec leur appartenance à la CEDEAO. La Guinée appartient déjà à trois organisations sous régionales. Mais la Guinée également appartient à la CEDEAO. Les organisations sous régionales peuvent permettre à des États de manière beaucoup plus limitée, de se retrouver pour mutualiser leurs efforts et leurs actions pour la résolution d'un aspect principal. La question sécuritaire est un aspect principal qui concerne le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Il est tout à fait compréhensible que ces pays cherchent les voies et moyens de mutualiser leurs efforts pour endiguer la montée du djihadisme et du terrorisme dans leur pays. Mais à notre avis, ça ne devrait pas être un élément qui les amènerait à s'éloigner de l'organisation régionale.
BBC : Et si par nécessité, les chefs d'Etat de ces pays, compte tenu de leur proximité avec le général Mamadi Doumbouya demandaient à la Guinée de les aider en termes d'armement ou d'autres stratégies, est-ce que les autorités guinéennes répondraient à une telle demande?
ABO : Les autorités guinéennes, à l'heure actuelle, veulent aller dans le sens de la restauration, de la paix et de la stabilité sur l'ensemble de l'Ouest africain et le général du corps d'armée Mamadi Doumbouya est mobilisé pour contribuer à trouver des espaces de médiation entre les différents pays de manière bilatérale ou de manière beaucoup plus large, pour que la coexistence, l'entente puissent prévaloir sur toute considération dans notre espace régional.
BBC : Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, était à Conakry début juin, sa première visite depuis l'arrivée du CNRD au pouvoir. Faut-il s'attendre à une forte présence russe en Guinée, comme c'est déjà le cas dans les pays africains dirigés par des militaires ?
ABO : La Russie et la Guinée depuis l'Union soviétique ont des relations de plusieurs décennies, de très bonnes relations. Les Russes ont des intérêts économiques majeurs dans notre pays. L'historicité de nos relations l'atteste. Nous travaillons à maintenir de bons rapports avec ce partenaire historique de la République de Guinée.
"L'appartenance de certains pays à l'AES n'est pas contradictoire avec leur appartenance à la CEDEAO."
BBC : Les opposants Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et d'autres peinent à revenir au pays parce qu’ils seraient visés par des procédures judiciaires. Votre arrivée à la primature pourrait-elle faciliter le retour de ces leaders de l’opposition ?
ABO : Je suis particulièrement sensible à la situation de tous les exilés et de tous ceux qui se sentent obligés de quitter leur pays pour se réfugier ailleurs et j'en étais un exemple vivant pendant cinq années. Donc, je suis très sensible sur cette question. Par rapport aux personnalités que vous venez de citer, à priori, il n'y a aucun élément de la part de la puissance publique qui leur interdirait de revenir dans leur propre pays. Si, à titre individuel, ils estiment que les conditions ne sont pas réunies, il leur appartient de voir les voies et moyens pour ramener ces conditions dans une optique qui leur permettrait de rentrer dans leur propre pays.
BBC : Etes-vous prêt à mener des médiations entre eux et la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) ? Ils sont cités dans des dossiers.
ABO : Vous dites que d'intervenir entre eux et la CRIEF. Mais je ne crois pas, à ma connaissance, que Monsieur Sidya Touré, président de l'UFR, fait l'objet d'une quelconque poursuite par la CRIEF. Je ne suis pas au courant. Donc en ce qui le concerne, je ne m'explique pas les raisons pour lesquelles il préfère s'éloigner de son propre pays pour une longue durée.
Par rapport aux autres, il y a des dossiers judiciaires qui les concernent. Comme vous le savez, le principe de la séparation des pouvoirs interdit au pouvoir exécutif de se mêler du pouvoir judiciaire d'une manière ou d'une autre. Et de l'autre côté, par rapport à la CRIET, vous savez que d'importantes personnalités sont en détention préventive ici dans notre propre pays. Dans ce cas d'espèce, il serait très difficile au gouvernement guinéen et à l'exécutif, de manière générale, de s'immiscer pour que l'opinion voit qu'il y a deux poids et deux mesures. D'où le fait qu'en ce qui concerne le processus judiciaire en tant que tel, le pouvoir exécutif s'interdit de se mêler pour ne pas se retrouver dans une position inconfortable. Deuxièmement ce que nous demandons aux structures judiciaires, c’est de travailler dans le strict respect des droits des personnes qui, tant que la justice n'a pas définitivement statué sur leur sort, bénéficient de la présomption d'innocence et de l'autre côté, que les droits de tous puissent être respectés. C'est de cela que nous sommes personnellement et collectivement engagé.
BBC : Certains leaders politiques guinéens estiment que vous n'avez pas les coudées franches dans vos prises de décision. Que leur répondez-vous et quelles sont vos relations avec le président général Mamadi Doumbouya ?
ABO : Je voudrais dire simplement laissons les rentrer dans des conjonctures, qu'ils ne maîtrisent pas, qu'ils ne connaissent. Pour le reste : "Wait and see".
Source: BBC
Ajouter un commentaire