L’intitulé de cette analyse nous renvoie à une étude très poussée et vaste de l’affirmation que je viens de tenir. Cependant, pour raccourcir le chemin, dans une première tentative, nous chercherons de saisir la notion de « droits électoraux » institutionnel et subjectif selon la scientificité du droit international des droits de l’homme (DIDH), en appui avec la démocratie (I). Et, dans une seconde partie, nous tacherons de démontrer comment les trois (3) pouvoirs cités plus haut se sont entendus pour vider le contenu des droits électoraux en République de Guinée (II). Ce faisant, nous allons faire du droit comparé pour bien arguer sur la violation des droits électoraux dans cette République prise en otage depuis son accession à l’indépendance, le 02 octobre 1958. I. La notion des droits électoraux Selon la doctrine et le droit international des droits de l’homme, la dimension collective des droits de l’homme dans sa partie droits de citoyenneté que l’on nomme souvent par « droits politiques », retient trois (3) composantes des droits politiques. Pourquoi droits politiques ? Par ce que tout simplement, ce sont des droits qui permettent aux citoyens de participer directement ou indirectement à la gestion de la République, ou de la civitas. Sur ce, selon les dispositions de l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) adoptée à Paris et proclamée le 10 décembre par l’Assemblée générale des Nations Unies, de l’article 25 du Pacte international des droits civils et politiques (PIDCP) du 16 décembre 1966 ; l’article 13 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), les droits politiques se divisent en trois (3) grandes catégories Le droit « générique » de prendre part à la direction des affaires publiques ; Le droit d’accès à la fonction publique ; Et les droits électoraux d’où cadre notre sujet. Par ailleurs, les droits électoraux à leur tour, se subdivisent en deux (2) categories a) Droits électoraux institutionnels : les Etats sont tenus d’organiser des élections libres et transparentes à des intervalles réguliers pour designer les organes qui sont investis d’un pouvoir normatif et indépendant : Le président de la République dans un régime présidentiel ou présidentialiste ; le premier ministre ou chancelier dans un régime parlementaire ou semi parlementaire; les parlements nationaux ; les parlements des Etats fédérés dans les Etats fédéraux et/ou fortement régionalisés. L’article 25 du PIDCP s’applique aussi sur les référendums, etc. b) Et en Droits électoraux subjectifs : Ces droits comprennent le droit de vote et le droit d’éligibilité pour tout citoyen, évidemment selon certaines conditions objectives et raisonnables. Selon le Comité des droits de l’homme, les Etats ont d’une part, des obligations négatives (ne pas porter atteinte à ce droit), et, d’autre part des obligations positives (prendre des mesures pour la réalisation efficace de ces droits, comme l’inscription des électeurs, le respect de la liberté d’expression, d’association, la lutte contre l’analphabétisme, etc. Il faut signaler que tous les droits politiques posent comme condition sine qua non, l’exigence de la nationalité, et se sont ce sont les Etats qui déterminent souverainement qui sont leurs nationaux. Ainsi, au regard du DIDH, en République de Guinée, les droits électoraux susmentionnés, c’est à dire, les droits de vote et d’éligibilité sont violés par les trois (3) pouvoirs (supra). Partant, nous allons traiter de la violation du droit d’éligibilité, car la violation du droit de vote et l’organisation des élections libres et transparentes ne font pas aujourd’hui l’objet de polémique, tous les juristes, sociologues, et économistes partagent pratiquement la même analyse. II. La violation des droits électoraux, en l’occurrence le droit d’éligibilité Comme nous l’avons dit au début de cette analyse, nous allons adopter une approche comparative pour soutenir que la République de Guinée serait le seul Etat de la sous région où la violation du droit d’éligibilité est officielle et manifeste. Effectivement, la Constitution du 23 décembre 1990, dans sa première version, comme dans sa version révisée de 2001 « viole », limite de façon déraisonnable le droit d’être candidat aux différentes consultations électorales (présidentielles, législatives, etc). Cette constitution, ayant rappelée dans son préambule, et dans son article 1er le caractère universel des droits de l’homme, et l’attachement de la Guinée aux principes démocratiques, viole dans les dispositions qui suivent les mêmes principes démocratiques qu’elle (Constitution) a posée. Sur ce, l’alinéa 1 de l’article 3 Const. dispose que « […] Seuls les partis politiques présentent les candidats aux élections nationales ». Quant à l’élection du président de la République, l’article l’alinéa 2 de l’article 26 de la const. stipule que « […] Aucune candidature n’est recevable si elle n’est présentée par un parti politique légalement constitué ». La même condition saugrenue se pose pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale. Dans la même logique, les articles L 117, L 126, et suivant de la Loi organique de 1991 portant code électoral, viennent corroborer ce qui a été dit supra par la constitution. L’exécutif, le législateur guinéen, et par la complicité du pouvoir judiciaire (Cour Suprême) ont refusé de supprimer cette disposition dans le projet révision de la constitution avant le pseudo référendum constitutionnel du 11 novembre 2001. Qu’en est-il dans les autres pays ? Pour cela nous n’allons même pas partir en France, aux Etats Unis pour savoir comment la République de Guinée viole le droit d’éligibilité, mais on illustrera nos propos en mettant en nos législations électorales sur celles de nos voisins sous régionaux. En effet, lorsque nous prenons ce petit pays de l’Afrique occidentale : le Bénin, qui se trouve aujourd’hui l’un des meilleurs élèves en matière de démocratisation sur le continent africain, on ne retrouvera aucune disposition, ni dans la Constitution béninoise, ni dans les lois électorales béninoises, une disposition similaire qui limiterait le droit d’éligibilité. D’ailleurs l’actuel président Yayi Boni qui est l’un des économistes chevronnés de la sous région ouest africaine, fut élu à présidence béninoise comme candidat indépendant. De surcroît, tout près de chez nous encore, les Républiques du Sénégal et du Mali ne se retrouvent point sur le chemin qu’a tracé la République de Guinée, et notre pays est très lié historiquement à ces deux (2) pays. Au Sénégal, l’article L O 111 de la Loi organique 92-95 et 92-16 du 07 février 992 reconnaît la candidature indépendante. Au Mali, l’article 67 de la Loi N° 06-44 du 4 septembre 2006 portant Loi électorale mentionne que « Les candidatures indépendantes sont également autorisées ». Du reste, lorsque nous prenions la route du Sahel, au pays des hommes intègres, malgré la succession de coup d’Etat militaire qu’a connu ce pays après son indépendance et ce jusqu'à la fin des années 80, (avec la mort de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987), nous ne retrouvons aucune disposition similaire à celle de la Guinée. L’alinéa 2 de l’article 123 de la Loi N° 24/2005 portant modification de la Loi N ° 14/ 2001 du 03 juillet 2001 portant code électoral du Faso dispose que « Les candidatures peuvent être présentées, soit à titre individuel, soit sous le patronage d’un parti politique, d’un collectif de partis, ou d’un groupement de partis ou de formations politiques légalement reconnus ». Dans la même ambiance des Lois électorales, le Niger voisin du Burkina Faso, par la voie de la Cour suprême a rendu un avis sur la question des candidatures indépendantes. La Cour suprême du Niger, par son avis du 24 septembre 1992 affirma que l’article 84 de l’Ordonnance N 92-043 du 22 août 1992 portant Code électoral qui éliminait les candidatures indépendantes limite les droits et libertés fondamentaux. La Cour suprême du Niger « Dit que le fait pour l'article 84 du Code électoral d'éliminer les candidatures indépendantes aux élections présidentielles constitue une atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens notamment le droit pour tout citoyen d'être éligible, la liberté pour tout citoyen d'adhérer librement au parti politique de son choix et l'égalité de tous les citoyens devant la loi Dit que du point de vue du droit, aucune raison ne justifie l'élimination des candidatures indépendantes aux élections présidentielles, tout au contraire, le mode d'élection du président de la République et le rôle qui lui sera dévolu dans la prochaine constitution militent dans le sens du maintien des candidats indépendants aux élections présidentielles ». Aujourd’hui, au Niger, les nouvelles lois électorales reconnaissent les candidatures indépendantes. Le candidat indépendant à l’élection présidentielle doit fournir 10.000 signatures dans au moins cinq (5) régions du pays ; 1 % des inscrits de la circonscription où il se présente, pour les élections législatives, régionales, départementales, etc. Après avoir passer en revue certaines lois électorales de la sous région, nous remarquons qu’à l’exception de la Guinée, tous ces pays susmentionnés reconnaissent les candidatures indépendantes aux élections présidentielles, législatives, etc. On pourrait comprendre et admettre certaines conditions d’exercice du droit d’éligibilité, notamment les exigences liées à la nationalité, à l’âge (35-40 ans selon les pays), la résidence, le certificat médical, la jouissance des droits civils et politiques, l’incompatibilité des fonctions, etc., mais il serait déraisonnable, irrationnel et disproportionné de limiter le droit d’éligibilité par l’appartenance à un parti politique. Certes, le droit de vote et le droit d’éligibilité ne sont pas des droits absolus, et par conséquent ces droits pourraient être limités par le législateur, mais en respectant la triple condition classique : la légalité, le but poursuivi et la proportionnalité. Assurément lorsqu’on analyse les textes mis en cause, dans le cas présent, la constitution et la loi électorale guinéenne, on se rend compte que la condition de légalité est respectée, car nous avons deux (2) bases légales : la constitution et la loi électorale. Cependant, il faut poursuivre le raisonnement, car toute limitation de droit de l’homme doit répondre à trois (3) conditions (supra). Partant de là, examinons les deux (2) autres conditions qui restent, à savoir le but légitime poursuivi, et la proportionnalité. Quel est le but poursuivi par le refus des candidatures indépendantes ? Le refus des candidatures indépendantes ne poursuit selon mes dires aucun but légitime. Peut être, ce qui défendent cette limitation des candidatures indépendantes me diraient que le but légitime poursuivi qu’on pourrait dégager de cette mesure, c’est la protection de la liberté d’association, association dans le sens des partis politiques. Moi je dirais même sous un autre angle, que cette mesure est aussi contraire à la liberté d’association, la liberté d’appartenir à un parti politique de son choix, car il faut signaler que cette liberté d’appartenir à un parti politique renvoie aussi à la liberté de ne pas appartenir à un parti politique. Donc, une telle mesure oblige les citoyens à appartenir à un parti politique pour être éligible. Elle (mesure) est même contraire au principe d’égalité. En outre, la mesure de limitation n’est pas proportionnelle par rapport à l’objectif légitime poursuivi (d’ailleurs je n’en vois aucun). Il y a d’autres mesures qui porteraient moins atteinte, qui limiteraient de façon raisonnable le droit d’éligibilité, comme l’imposition d’un certain nombre de signatures aux candidats indépendants, et, cette exigence d’un certain nombre de signatures ne viderait pas le droit d’être éligible de son contenu. En République de Guinée, les hommes qui incarnent ces trois (3) pouvoirs, soucieux de leurs intérêts égocentriques, ont supprimé la limite d’âge et le nombre de mandat pour être président de la République. Ces limites d’âge (70 ans), et de mandat (5 ans renouvelable une seule fois) figuraient dans la première version de la Constitution de 1990 en son article son article 24. Donc, le législateur, et le judiciaire aveuglés par leurs « annuités » qui ne dit pas son nom, au lieu de corriger les imperfections de la première version de la dite constitution, ont par contre continuer à « tailler » la constitution pour attribuer un pouvoir considérable au président de la République et limiter de manière déraisonnable les droits et libertés fondamentaux. Conformément à l’article 45 de la constitution et à l’article 7 de la Loi organique N°91/008/CTRN du 23 décembre 1991 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour suprême de la République de Guinée, la Cour suprême donne son avis sur les projets de loi soumis au référendum et sur les projets de loi qualifiés d’organiques. Elle donne également son avis sur les propositions de loi. Au demeurant, la Cour suprême de la Guinée, au lieu de donner un avis comme l’a fait la Cour suprême nigérienne, s’est « alliée » avec les pouvoirs législatif et exécutif, et, a laissé passer ce faux référendum du 11 novembre 2001 sans émettre un avis constructif sur la garantie et la sauvegarde des droits et libertés fondamentaux, en l’occurrence les droits électoraux subjectifs. Enfin, il faut aussi affirmer que les partis politiques, pris de peur par certains citoyens qui pourraient se présenter comme candidat indépendant pour briguer le mandat présidentiel ou législatif, ont soutenu la position du gouvernement, car il faut reconnaître que certains citoyens, en se présentant comme candidats indépendants peuvent faire la différence, et ce même dans les bastions de l’opposition. Ainsi, ces partis d’opposition et non de l’opposition cherchent à leur tour beurrer leurs croissants, car nous sommes dans une République où tous les calculs et jeux se résument à : Comment, à mon tour puis-je beurrer mon croissant ? Ces hommes qui incarnent l’opposition, qui se présentent comme des pro démocrates, au lieu de chercher à consolider les grands principes démocratique, s’évertuent et explorent les principes démocratiques qui les arrangent dans le but de beurrer à tout prix leurs croissants, et non de beurrer les croissants de tous les citoyens de la République. La République de Guinée pourraient se définir en trois mots: Pays des Exceptions et Contrastes : un pays détonateur des indépendances en Afrique occidentale française (AOF) et en Afrique équatoriale française (AEF), un pays où le processus démocratique tordu, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire sous la coupole du pouvoir exécutif, un pays où la confusion des pouvoirs est très marqués, les partis politiques battis fondamentalement à l’image des régions, pays champion de la mauvaise gouvernance économique et politique, un président de la République très malade mais qui continue de tenir le pays en otage, un petit pays riche par les aléas de la nature mais appauvri par ses propres fils, le manque de personnalité et de courage politique des dirigeants -on ne démissionne pratiquement pas et on attend son renvoi de la haute hiérarchie administrative pour se porter comme le grand opposant au régime des « prédateurs », un pays où le menu reste l’ethnie et que l’ethnie.

Touré Ibrahima Sory, écrivain, spécialiste en droit de l’homme. Montréal. istofr@yahoo.fr

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